Extrait : « … Tournons-nous maintenant vers l'"indispensable" en matière d'angoisse : L'inquiétante étrangeté.
En introduction nous dirons qu'une vue sur les lectures Freudiennes tel le cas du petit Hans ou de la Méduse, dont nous ne parlerons pas ici, nous apprend que la castration est un regard angoissant concernant l'absence d'un objet bien spécifique : le pénis.
Mais n'est-il pas curieux de constater que dans le cas du petit Hans, et dans celui de "l'homme aux loups" tout aussi bien, ce soit la femme qui menace de castration alors qu'en fin de compte c'est de la part du père que l'enfant la redoute. L'origine de l'angoisse de castration se situe chez la mère, mais le sujet la déplace sur le père.
Nous avons ici trois éléments : la mère menaçante, le père castrateur et l'angoisse ; soit le schéma classique de l'Œdipe avec la castration en punition de l'inceste.
Donc, si d'une part nous avons la mère et la menace et d'autre part le père et la castration, quelle est la place à donner à l'angoisse dans tout ça ?
L'Unheimlich pourra peut-être nous aider à répondre à cette question, et en particulier la partie qui traite du conte d'Hoffmann, "l'homme au sable".
Le début de l'article commence avec l'idée que "heimlich" et "unheimlich" coïncident : "Unheimlich est en quelque sorte une espèce de "heimlich""(36). C'est à dire que quelque chose de connu et de rassurant devient angoissant si il contient quelque chose de dangereux qui aurait d˚ rester caché. Ceci est la définition même du complexe de castration que Freud nous donne là. Ce complexe apparaît dans le conte de façon spéciale : par la perte des yeux. Cette référence n'est pas sans nous rappeler le mythe d'Œdipe. Celui-ci se crève les yeux dans le théâtre de Sophocle pour ne plus voir "sa misère et [...] son crime, et pour que la nuit leur dérobe ceux qu'il n'aurait jamais dû voir et qu'ils ne reconnaissent plus ceux qu'il ne veut plus reconnaître"(37).
Freud généralise et présente l'aveuglement comme un substitut de l'angoisse de castration. L'angoisse serait identique dans les deux cas. "Même l'auto-aveuglement du mythique Œdipe n'est qu'une atténuation de la peine de castration qui eut été la seule adéquate selon la loi du Talion" (38). Rappelons qu'Œdipe avait tué son père et couché avec sa mère.
Dans l'élaboration freudienne, la matrice de l'angoisse c'est l'angoisse de castration, soit l'angoisse d'une perte, à l'opposé de Lacan pour qui il ne s'agit pas de la perte mais de l'imminence de l'objet. Dans son enseignement, Lacan nous dit que ce n'est pas la castration qui structure l'angoisse mais le rapport à cet objet baptisé par lui (a). Cet objet émergerait là où il devrait manquer, et c'est très exactement quand la manque vient à manquer que se produit l'angoisse (39).
Nous allons maintenant tenter de saisir le lien fait par Freud entre l'angoisse de castration et le rapport au père.
L'homme au sable arrache les yeux des enfants. C'est ce qui a été raconté à Nathanaël lorsqu'il était enfant. IL les arrache et les donne à manger à ses enfants qui ont "des becs crochus comme des chouettes"(40).
Un soir, Nathanaël croit reconnaître l'homme au sable en la figure de Coppélius, alors qu'il l'espionnait s'affairant avec son propre père à une mystérieuse besogne devant "un fourneau d'où s'élevait une flamme bleue" et criant "des yeux ! des yeux !"(41).
Découvert par Coppélius, Nathanaël, au comble de l'horreur, se voit brandit au dessus du foyer et, si ce n'était l'intervention de son père, aurait eut les yeux arrachés par l'ignoble Coppélius. S'en suit une syncope de Nathanaël et une longue maladie.
Quelques années plus tard Coppélius fait retour dans l'histoire de Nathanaël sous la forme de Coppola, marchand de lunettes. Un délire éclate lorsque Coppola jette sur la table une poignée de lunettes qui étaient comme "des milliers d'yeux [qui] semblaient darder des regards flamboyants sur Nathanaël [...] ces regards [...] formaient comme un faisceau de rayons sanglants qui venaient se perdre sur la poitrine de Nathanaël" (42).
Un jour Nathanaël tombe amoureux d'Olympia. Ce qu'il ne sait pas c'est qu'il s'agit d'une automate construite par un certain Spalanzani aidé de Coppola qui lui a inséré les yeux. Armé d'une longue-vue, une fois de plus il épie, et intervient lors d'une dispute entre Spalanzani et Coppola pour la "paternité" de leur "œuvre". Une nouvelle crise de folie éclate quand Spalanzani jette les yeux d'Olympia à Nathanaël en lui disant que Coppola les lui a volé. Le conte s'achève sur le suicide de Nathanaël, se jetant dans le vide sur ces mots ultimes "Ah ! des beaux youx ! des jolis youx !" (43) sous le regard de l'homme au sable alias Coppélius alias Coppola.
Voici maintenant l'analyse que fait Freud de ce conte ici très sommairement résumé.
L'homme au sable est d'emblée vu comme étant la source de l'Unheimlich, parce qu'il est celui qui arrache les yeux. Endommager ou perdre ses yeux "est une angoisse infantile effroyable" (44). Il y aurait dans ce fantasme une substitution du pénis par l'œil, la peur de perdre ses yeux devenant un substitut de l'angoisse de castration. Dans le conte Hoffmannien, Freud lie complexe de castration et mort du père. Qu'est-ce à dire?
Tout simplement ceci, qu'à chaque fois que Nathanaël rencontre l'homme au sable, Coppélius ou Coppola, il est confronté au père redouté dont on attend la castration en punition de l'inceste désiré. La mort du père castrateur est tout bonnement fantasmée par l'enfant afin de prendre sa place auprès de la mère.
Mais Freud avance quelque chose de nouveau ici, qu'on peut retrouver antérieurement si on se réfère au cas de "l'homme aux loups" qui date de 1914-1915. Cette nouveauté, grâce a laquelle il relira le cas du petit Hans, c'est ce qu'il nommera le complexe d'Œdipe inversé… »
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