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  • Catherine Paumier

De l’anorexie

Dernière mise à jour : 14 févr. 2022


« Qui mieux que l’anorexique met à mal son corps, le maltraite, le torture, l’abomine?

L’anorexie, tout comme la boulimie, revers de la même médaille, n’est ni une structure; elle la couvre; ni un symptôme; elle ne divise généralement pas le sujet; mais est peut-être bien plutôt une position subjective du sujet, un mode d’être particulier.


De nos jours elle se trouve classée parmi ce qui se nomme les “ troubles des comportements alimentaires ”, “ eating disorders ”, pour reprendre le terme exacte utilisé par celle qui fut la référence américaine des années soixante dix en la matière: Hilde Bruch.


Dans Les yeux et le ventre. L’obèse, l’anorexique , elle expose ses idées issues d’une recherche sur plus de trente ans d’observation de cas d’obèses et d’anorexiques aux Etats-Unis des années trente à soixante.

La thèse que H. Bruch défend est la suivante: “ L’obésité, comme l’anorexie mentale serait liées à un défaut d’adaptation de cette reconnaissance du besoin de manger; la “ faim ” n’est donc pas une connaissance innée, une éducation est nécéssaire à sa bonne adaptation ”[1]

Pour l’auteur, l’anorexie et la boulimie relèvent d’un trouble de la personnalité et de l’affectivité. Le trouble est un trouble du sujet, et non un trouble de la pulsion.

Anorexie et boulimie sont appréhendées comme les conséquences d’une mauvaise harmonie entre les facteurs physiochimiques et physiologiques, les facteurs sociaux et/ou psychologiques. Tout est question d’apprentissage dans la cure de l’anorexique/boulimique, apprentissage alimentaire que la mère de la malade n’aurait pas su transmettre.

Mais une autre thèse majeure de H. Bruch est de soutenir que dans l’anorexie il y a toujours un noyau schizophrène potentiel.

De nos jours on peut dire que l’anorexie et la boulimie sont des pathologies “ à la mode ” (H. Bruch parlait déjà d’épidémie), un de ces “ nouveaux symptômes ”. Encore faut-il que pour qu’il y ait symptôme au sens analytique du terme le sujet s’en plaigne, en souffre. Or ceci n’est pas souvent le cas. Ce sont bien plutôt des sujets figés dans leur assertion qui se présente dans un “ je suis anorexique ” ou “ je suis anorexique-boulimique ” (sujet alternant les périodes de crises boulimiques suivies, ou pas, de vomissements provoqués (boulimiques-vomisseusses arborant un poids “ normal ”)).

C’est bien d’un symptôme qu’il s’agit, mais d’un symptôme constitué hors transfert et adressé à l’Autre de la science et/ou à l’Autre du social. C’est une épidémie dans le sens ou Freud l’entend dans son texte Psychologie des foules et analyse du moi , lorsqu’il nous donne l’exemple des jeunes filles du pensionnat[2]: un groupe d’individus a mis un seul et même objet à la place de son idéal du moi, en l’occurence pour l’anorexie ;le corps maigre. En conséquence les anorexiques sont identifiées les unes aux autres. Comme dans le cas des jeunes filles du pensionnat il y a identification par un trait signifiant; ici nous restons dans le cadre de la névrose.

Dans la psychose nous avons plutôt affaire à une autre sorte d’identification dans le sens où celle-ci est condensatrice de jouissance. Ce nom condensateur de jouissance il convient de le traiter avec égard, la difficulté étant de sortir le sujet du danger vital dans lequel il se trouve parfois tout en respectant sa solution.

La difficulté dans la névrose est tout autre: l’anorexique ne demande rien, ce rien avec lequel elle entretient le rapport le plus étroit.

Lorsque Lacan évoque l’anorexie dans Les complexes familiaux il la qualifie de suicide très spécial caractérisé comme “ non violent ”[3] .C’est d’un “ abandon à la mort ” dont il s’agit; et de fait il est fréquent d’entendre les sujets présenter leur pathologie comme étant “ une mort lente ”; “ la plus obscure aspiration à la mort ” proche du “ désir de la larve ”[4] .C’est bien à la pulsion de mort que nous avons affaire avec les anorexiques, et si elles font preuve d’un appétit quelconque c’est d’un appétit pour la mort, elles se laissent littéralement mourir de faim dans une jouissance solitaire au-delà du principe de plaisir. Ainsi pour reprendre les propres termes d’une patiente: “ ne pas manger c’est une victoire sur soi-même, un sentiment de maîtrise totale de soi ”, jusqu’au moment où elles ne contrôlent plus rien, prises dans la griserie de la perte de poids, elles ne peuvent plus s’arrêter de maigrir : il n’y a plus de limites, le signifiant est inapte à contrôler la jouissance.

Le manque de limites est aussi présent dans ce dialecte de l’anorexie qu’est la boulimie. Au lieu de prendre le rien comme objet la boulimique prend le “ tout ”, le manger “ tout ”, à en éclater parfois.

La boulimie c’est l’échec de l’acsèse anorexique, c’est le déchaînement du réel pulsionnel qui balaye tout sur son passage. La boulimie c’est un “ je mange donc je suis ” pour reprendre les termes d’une jeune patiente, un “ bouffer pour ne penser à rien ” quand survient l’angoisse dit une autre. Pour ces deux sujets, après ce qu’elles appellent leur “ crise ”, intervient le rituel du vomissement pour conserver cette image idéale du corps maigre; et puis parce que c’est aussi le retour de l’angoisse comme signe d’une présence en trop.

L’anorexie c’est aussi un culte, le culte du refus, le culte du rien auquel elles soumettent les petits autres dans une sorte d’ivresse de toute-puissance, d’omnipotence, jouant “ de (leur) refus comme d’un désir ”[5].

Si Hilde Bruch a pu soutenir que l’anorexie relève de la psychose, c’est sur la base, nous semble-t-il, d’une autre de ses thèses, toujours très répandue: l’anorexique souffre d’un défaut de perception de l’image de son corps et de la conscience de soi. C’est une constatation clinique juste, mais que la psychose ne justifie pas dans chaque cas.

Il est vrai que bon nombre d’anorexiques nient leur maigreur extrême contre toute évidence. Mais cela ne va-t-il pas dans le sens d’un autre refus, celui du corps cette fois, corps vu, pour reprendre les termes de Jacques-Alain Miller, comme “ la honte de la création ”[6],si honteux qu’il faut qu’il disparaisse.


En revanche, ce corps elles l’exhibent à l’envie, cherchant à produire l’angoisse de l’Autre et non pas son désir, ce qui révèle un trait de perversion présent dans quasiment tous les cas.

La barrière du beau est franchie, c’est la laideur qui est exposée à tous les regards.

Dans l’anorexie pas de mascarade féminine, mais bien plutôt son envers: l’image macabre de la mort… »

[1] Les yeux et le ventre, Hilde Bruch, Payot, 1994,p.15. [2] Voir Essais de psychanalyse, “ l’identification ”, Sigmund Freud, Ed° Payot, 1981, p.170 et Ss. [3] Voir Les complexes familiaux, Jacques Lacan, Navarin, 1984,p. 25 à 35. [4] Idem. [5] Lacan, Jacques, Ecrits, “ La direction de la cure ”, Ed° Seuil, Paris, 1966, p. 628. [6] “ Cours d’Orientation Lacanienne ”,Séminaire de DEA, Jacques-Allain Miller, cours du 2/06/1999, inédit

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