La permanence et l’avenir de la psychanalyse semblent depuis son invention par Freud, avoir partie liée avec la notion de secret, ce qui paraît au premier abord paradoxal avec l’idée de diffusion, d’extension de la psychanalyse.
Comment un secret originel peut-il faire que se maintienne vivace son enseignement, son existence ?
Quelques points d’histoire peuvent nous éclairer sur cette interrogation.
En Février 1911, Adler et Stekel démissionnent de la Société Viennoise et de leurs postes respectifs au Comité, eux qui avaient été les plus anciens disciples de Freud. C’est ainsi que la première scission eut lieu au sein du mouvement analytique. Les causes de rupture n’étaient pas des moindres : Adler réfutait le complexe d’Oedipe, et niait ni plus ni moins l’existence de l’inconscient. Sur ce point de discorde la rupture fut consommée et plusieurs membres se joignirent à lui pour former la Société de Psychologie individuelle comparée. Stekel, pour d’autres motifs partit de même. De l’avis de Freud il manquait de sérieux scientifique.
Si ces deux défections furent accueillies par Freud avec un certain soulagement, il n’en alla pas de même pour celle de Jung. On sait tous les espoirs que Freud mettait en ce « fils adoptif », ce « successeur », pour l’extension de la psychanalyse. Il représentait « l’homme de demain », celui par lequel la psychiatrie cesserait de renier la psychanalyse, et celui grâce auquel la science nouvelle pourrait perdre son statut de « science juive », ou du moins liée à une poignée de Juifs viennois.
Or, dès 1911 Jung rejette la définition de « libido » comme étant exclusivement sexuelle, pour l’élargir à son gré. Puis de même il niera l’existence de la sexualité infantile, dans l’étiologie sexuelle des névroses.
Les divergences théoriques iront en s’aggravant. Revenant d’Amérique, Jung se targue d’avoir réussi a y rendre la psychanalyse plus supportable en la présentant comme lavée de toute référence à la question sexuelle. Il devint celui qui promet « à l’humanité de la délivrer de l’embarrassante sujétion sexuelle, quelque sottise qu’il choisisse de dire, (pour être) considéré comme un héros ».
Pour Freud, pas question de transiger sur un concept aussi fondamental. En Juillet 1914 il met un point final à leur amitié « Nous voilà (...) débarrassés de Jung, cette sainte brute, et de ses pieux acolytes ».
C’est dans cette ambiance de trahison que les craintes de Freud concernant l’avenir de la psychanalyse s’éveillèrent.
Il fallait surveiller « le développement futur de la psychanalyse et (défendre cette) cause contre les gens et les accidents lorsqu’(il) n’y serait plus ».
Dans ce contexte Jones lui fit une proposition : pourquoi ne pas former « un petit groupe d’analystes dignes de confiance, une sorte de « vieille garde » autour de Freud »?.
Tous seraient engagés sur un point essentiel : ne pas rejeter l’un des concepts fondamentaux de la psychanalyse, du moins pas sans se consulter entre eux.
L’idée enthousiasma Freud, « Ainsi, dit-il, vivre et mourir me deviendraient plus facile si je savais qu’une telle association existe pour veiller sur mon œuvre » .
L’exigence du secret de l’existence et de l’action de ce Comité vint de Freud lui-même. C’est dire la crainte de voir la psychanalyse enterrée « après avoir si souvent et vainement entonné pour nous le chant funèbre » .
Ce Comité secret était composé de Ferenczi, Rank, Sachs, Jones, Abraham et Freud lui-même. La première réunion se tint le 25 Mai 1913 et en cette occasion Freud offrit à chacun de ses membres une intaille grecque que tous se firent monter en chevalière. Sept ans plus tard Max Etington reçut de même son intaille et le Comité des Sept anneaux fut ainsi au complet. Le Comité fonctionna environ dix ans. Il fut dissous en 1924.
Nous venons donc de voir que l’avenir de la psychanalyse fut mis entre les mains d’un petit groupe d’élus, d’hommes de confiance. La suite de l’histoire nous apprendra que Ferenczi et Rank devaient être les seuls à déroger « à la règle (...) imposée » qui les obligeait à se consulter entre eux.
Freud attendait beaucoup, voire tout, des personnes en qui il mettait sa confiance, et pourtant maintes fois il se sentit trahi (...)
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